UN REGARD CRITIQUE SUR L’ASSURANCE RESPONSABILITÉ DÉCENNALE OBLIGATOIRE POUR LES ENTREPRENEURS : QU’EST-CE QU’IL CHANGE POUR LES ARCHITECTES ?
Après des années de lobbying, le Conseil des ministres a enfin approuvé un avant-projet visant à instaurer une obligation d’assurance de la responsabilité décennale pour les entrepreneurs et les autres intervenants du secteur de la construction, outre les architectes. Cette obligation d’assurance est cependant limitée au logement. Protect, visait depuis longtemps déjà une assurance obligatoire des entrepreneurs.
Cette assurance obligatoire pour tous les partenaires de la construction a été enclenchée par un arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 juillet 2007, dans lequel il est clairement indiqué que la discrimination actuelle entre les différents partenaires de la construction ne peut être levée qu’en prévoyant une assurance obligatoire pour tous les partenaires de la construction. Le pouvoir législatif a depuis tenté, à plusieurs reprises, de mettre en œuvre une obligation d’assurance des entrepreneurs. Ces tentatives se sont jusqu’à présent heurtées à de nombreux obstacles, émanant aussi bien des entrepreneurs que de leurs assureurs. Ils estiment que ce qui est déjà proposé aujourd’hui sur une base volontaire, à savoir la TRC et la police décennale, devrait être suffisant pour mettre un terme à la discrimination soulevée par la Cour constitutionnelle.
Toutefois Protect, en tant qu’assureur le plus important en matière de responsabilité professionnelle des architectes, constate depuis quelques années déjà que la jurisprudence évolue davantage dans le sens du consommateur et des aspects sociaux, qu’elle est plus inventive par rapport à la législation et les règlements, et que son interprétation dépend souvent des circonstances. Là où jadis, le législateur tenait compte des dispositions contractuelles ou des rapports de chantier écrits en ce qui concerne la responsabilité de l’architecte, nous devons hélas constater aujourd’hui que certaines clauses issues des contrats d’architectes ne sont tout simplement plus acceptées dans la jurisprudence et que la responsabilité de l’architecte s’alourdit dans le cadre de son obligation de contrôle. En cas d’erreurs d’exécution, on ne s’arrête même plus au fait que l’architecte a été en mesure ou non de contrôler l’erreur d’exécution. Une erreur d’exécution est presque immédiatement liée à une erreur de contrôle. Nous remarquons également que si on déroge aux rapports d’experts, c’est presque toujours au détriment de l’architecte.
« Le nouveau projet de loi constitue une première étape dans la bonne direction qui doit mener à une amélioration de la qualité de l’entrepreneuriat »
Pour une assurance obligatoire similaire entre tous les partenaires de la construction, la jurisprudence, mais également l’avocat du maître d’ouvrage, auront moins tendance à évaluer les responsabilités en fonction de la souscription ou non à une assurance.
L’avant-projet qui oblige désormais les entrepreneurs à s’assurer pour leur responsabilité civile décennale dans le secteur de la construction, constitue donc une première étape dans la bonne direction.
Aspects positifs de cet avant-projet :
- Une réponse partielle à la condamnation in solidum peut être donnée. Pour les architectes cela constitue un risque financier toujours plus important.
- Cela entraînera également une amélioration de la qualité de l’entrepreneuriat. Les entrepreneurs dont le comportement est irresponsable seront plus rapidement repérés.
L’aspect négatif est le suivant ; l’avant-projet est limité, aussi bien sur le plan du champ d’application que sur celui des dommages garantis.
- Tout d’abord, l’obligation est limitée aux travaux de logement pour lesquels l’intervention d’un architecte est exigée. Les projets de construction d’écoles et d’industries, par exemple, ne doivent pas obligatoirement être assurés.
- En outre, l’obligation est limitée à la responsabilité décennale. Protect estime, sur la base de ses statistiques (22 000 dommages enregistrés au cours des 26 dernières années), que 10 % des dommages pour lesquels l’architecte est tenu responsable relèvent de cette nouvelle obligation d’assurance. Au moins 80 % des dégâts ne relèvent donc pas de cette nouvelle obligation d’assurance. Les discussions sur des problèmes au cours de la période de construction et sur les dommages qui ne relèvent pas de la responsabilité décennale – tels que les vices cachés légers – ne relèvent pas de cette obligation d’assurance.
L’explosion à Ghislenghien en 2004, qui a entraîné des dégâts très importants et dans le cadre de laquelle l’architecte en question s’est vu imputer une énorme responsabilité, n’entre donc pas dans le champ d’application de cette obligation. Le projet ne cadre pas dans le domaine du logement et les dommages ne ressortent pas sous la RC décennale.
Par ailleurs, la suppression de l’assurance civile juridique obligatoire pour les architectes n’est naturellement pas une bonne affaire, ni pour les architectes ni pour les consommateurs. La responsabilité de l’architecte est toujours plus lourde, non seulement en raison de la jurisprudence en évolution mais également en raison des obligations contractuelles plus lourdes auxquelles sont confrontés les concepteurs, sous la pression du maître d’ouvrage. L’assurance responsabilité civile est donc plus qu’utile pour offrir aux concepteurs la protection nécessaire dans l’exercice de leur profession. Il ne peut donc être question de la supprimer. Heureusement, supprimer l’obligation juridique ne signifie pas la suppression de l’obligation déontologique.
« L’architecte reste déontologiquement tenu de s’assurer pour sa responsabilité civile complète »
Dans le communiqué de presse d’annonce de l’avant-projet approuvé de la loi sur proposition du ministre de l’Économie et des Consommateurs Kris Peeters, et du ministre des Classes moyennes, des Indépendants, et des Petites et moyennes entreprises, Willy Borsus, il a également été annoncé qu’un deuxième avant-projet était en cours de rédaction, en ce qui concerne une assurance responsabilité civile obligatoire des architectes et autres prestataires de services dans le secteur de la construction.
À ce jour, rien ne change pour les architectes. L’obligation d’assurance déontologique, conformément à l’article 15 du Règlement de déontologie, approuvé par l’AR du 18 avril 1985 (MB du 8 mai 1985), reste en vigueur. Les architectes restent donc déontologiquement tenus de s’assurer pour leur responsabilité civile complète.
Nous espérons que l’obligation d’assurance actuelle, comme celle d’application pour les architectes, sera ensuite étendue à une obligation d’assurance complète pour tous les partenaires de la construction, qui ne soit pas limitée à la responsabilité décennale et à la construction de logement. Protect continuera à viser cet objectif avec la NAV et les autres unions, les assureurs et l’Ordre.
Rebecca Ramboer
Administratrice déléguée